RFI: Des jeunes se lancent à l’Est de l’Ukraine

Reportage diffusé dans l’émission Accents d’Europe, sur RFI, le 13/02/2017

Deux ans après les accords de paix de Minsk, les combats n’ont pas complètement cessé dans l’est de l’Ukraine. Le bilan du conflit qui a débuté, en 2014, s’établit désormais à 10 000 morts. Mais, depuis 2015, la ligne de front ne bouge plus, un peu en retrait de la zone de combat, certaines régions peuvent donc commencer à regarder vers l’avenir. C’est le cas de Kramatorsk, la capitale régionale côté ukrainien. La ville se situe à 80 km des hostilités, mais sans travail, les jeunes ont peu d’espoir. Si ce n’est dans un lieu, « Vilna Khata », la maison libre, qui se veut un lieu d’échange et qui sait peut être un jour de formation. C’est le reportage de Sébastien Gobert.

 

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L’existence, l’existentialisme, le développement de soi et le sens d’accomplissement. Ce soir, c’est la soirée du club de philosophie à Vilna Khata. Dans une autre salle, un autre groupe regarde un documentaire sur grand écran. Dans les couloirs, des jeunes gens échangent sur des canapés. Vilna Khata, dans le centre de Kramatorsk, bouillonne d’idées.

Anastasia Stryjelous a 19 ans, elle est responsable Vilna Khata.

Anastasia Stryjelous: C’est un endroit pour tous ceux qui ont un sens de l’initiative. Beaucoup de personnes ici à Kramatorsk ont été très heureux que cette plateforme soit créée, pour qu’ils viennent ici et que leurs idées, leurs projets, prennent corps. Nous organisons des séminaires, des soirées de la poésie, des concerts, etc.

Vilna Khata, cela veut dire “la Maison libre”, en ukrainien. Un espace créé en 2014 grâce à un partenariat avec  des associations à Lviv, la grande ville de l’ouest de l’Ukraine, à 1000 kilomètres de là. Vilna Khata bénéficie aussi de soutiens financiers internationaux, tels que l’organisme de coopération américain USAID.

Des soutiens suffisants pour développer un espace unique à Kramatorsk, une ville qui est généralement perçue comme industrielle, et très soviétique. Le local artistique de Vilna Khata est perdu dans un ensemble de barres d’immeubles d’allure décrépis.

Oleksandr: Je ne connais aucun autre endroit à Kramatorsk où on peut se détendre entre amis. Pourquoi se donner rendez-vous dans un autre endroit, si tous mes amis sont déjà ici? 

Le jeune Oleksandr est un assidu de Vilna Khata, qu’il voit comme une bouffée d’air frais dans la ville. En termes d’espace de réflexion et de création, mais aussi  pour échapper à  la politique, et à la guerre. Les habitants de Kramatorsk restent traumatisés par les quelques mois passés sous le contrôle des séparatistes pro-russes, en 2014. Il existait alors un courant d’idée en faveur d’un rattachement à la Russie.

Mais dans l’espace Vilna Khata, on  tient à rester en dehors des querelles politiques , comme l’explique La responsable, Anastasia Stryjelous,

Anastasia Stryjelous: Il suffit de venir ici pour se rendre compte qu’on ne parle pas de politique ici. On peut regarder des films sur la guerre, ou une exposition. Mais nous n’avons aucun message politique. Nous avons ouvert quand la situation était encore tendue ici, en 2015. Il y avait beaucoup de gens avec des positions politiques différentes. Nous avons tous très bien travaillé ensemble. 

Pour elle, il s’agit d’encourager les gens à inventer un nouveau Kramatorsk, et un nouveau futur pour la région. Le tissu industriel s’est délité depuis des années. Les perspectives pour la jeunesse, hormis des emplois d’usine mal payés ou des petits boulot. Le départ vers d’autres villes du pays, voire pour l’étranger, s’impose souvent comme la seule alternative. Ici, à Vilna Khata, des cours de langues et des expositions offrent un nouveau regard sur le monde extérieur. Des expériences d’ailleurs qui pourraient être transposées à Kramatorsk.

David Vardenian est un jeune étudiant de 18 ans.

David Vardenian: Cet endroit offre beaucoup de possibilités. On peut développer notre personnalité, rencontrer des étrangers, apprendre plus  de choses sur des questions artistiques. Avant, je ne savais pas comment m’exprimer, dans quelle direction aller. Et quand j’ai découvert cet endroit, je m’y suis senti bien. L’ambiance est chaleureuse, on peut échanger des idées et développer nos connaissances à travers des activités intéressantes. Ici, je suis devenu plus mûr qu’auparavant.

Vieille d’à peine deux ans, Vilna Khata se confronte déjà à une remise en question. Certains des premiers bénévoles ont quitté Kramatorsk pour aller chercher de nouvelles opportunités ailleurs. Les soutiens financiers se tarissent et le centre a du trouver un nouveau local moins bien situé dans le centre-ville. Et surtout, le public n’est plus autant au rendez-vous qu’avant, comme l’explique Oleksandr.

Oleksandr: Passé l’effet de nouveauté, beaucoup de gens ne savent pas quoi attendre de plus de Vilna Khata. D’autres séminaires, des formations peut-être? C’est à nous de renouveler notre offre. 

Loin d’être une fatalité, cela peut être une opportunité.

Oleksandr: En même temps, attirer des foules n’est pas le plus important pour nous. Ce n’est pas avec cela que nous évaluons notre travail. Nous avons un slogan: “Apprends, Travaille, Détends-toi, aide les autres”. C’est l’esprit de cet endroit; on peut y faire ce qu’on veut. 

D’une manière ou d’une autre, ces jeunes gens trouveront le moyen de développer un espace de liberté qui leur convienne. Mais une fois le pied à l’extérieur de Vilna Khata, la réalité morose de Kramatorsk les rattrape. Ils n’ont pas encore trouvé de moyen de changer cela.

Ecouter le reportage ici

RFI: Nouvelle controverse linguistique en Ukraine

Intervention dans la séquence « Bonjour l’Europe », sur RFI, le 09/02/2017

 

Alors que l’Ukraine est encore et toujours déchirée par une guerre meurtrière dans le Donbass, entre les forces gouvernementales et des séparatistes pro-russes soutenus par la Russie, le parlement à Kiev étudie trois projets de loi qui visent à renforcer le rôle de la langue nationale, l’ukrainien, aux dépens du russe.

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Sébastien, que prévoient ces projets de loi? 

A divers degrés, tous ces projets ont pour objectif l’ukrainisation de la vie publique. L’ukrainien est la langue d’Etat depuis l’indépendance en 1991, mais ces lois vont au-delà des seuls domaines politiques, institutionnels et administratifs. L’immense majorité des médias : télévision, radio, presse, cinéma et autre, seraient contraints de produire quasiment exclusivement en ukrainien. Une personne s’exprimant dans une autre langue, en l’occurrence le russe, devrait systématiquement être doublée ou sous-titrée en ukrainien. Ce qui n’a jamais été nécessaire, car la majorité des Ukrainiens sont bilingues.

Et en cas d’infraction, il y aurait des sanctions! Un des projets de loi prévoit l’instauration d’une patrouille de la langue, qui aurait le pouvoir de délivrer des amendes. Des peines de prison seraient même prévues pour les récidivistes. Ces projets sont très radicaux, et il y a peu de chance qu’ils soient adoptés en l’état par les parlementaires. Mais le simple fait que le Parlement les étudie fait déjà couler beaucoup d’encre.

Cela voudrait-il dire que parler russe deviendrait illégal? 

Evidemment, la propagande russe s’est déjà saisie de l’affaire, en affirmant que oui, l’ukrainien deviendrait la langue exclusive en Ukraine. En vérité ce n’est pas ça. Le russe, et les autres langues régionales resteront des langues minoritaires, on pourra continuer à les utiliser. Mais elles seront supplantées par l’ukrainien, dans la vie publique de ce grand pays bilingue.

Imaginez-vous un soldat ukrainien russophone mobilisé sur le front de l’est, et il y en a beaucoup. S’il donne une interview à la télévision en russe, où il explique pourquoi il a choisi de défendre son pays, il serait traduit par un doubleur professionnel en ukrainien? Ce serait un peu… humiliant, et injustifié. Au-delà de la propagande venue de Russie, le ressenti des millions de russophones du pays pourrait être désastreux.

Mais pourquoi de tels projets de loi maintenant? 

Les auteurs des projets de loi estiment qu’il n’y a pas de bon moment pour renforcer la langue nationale, guerre ou pas. Ils se réfèrent aux législations européennes sur les langues d’Etat pour justifier leurs démarches. Mais on dirait qu’ils ne prennent pas en compte certaines réalités ukrainiennes. Par exemple, l’industrie du cinéma, si elle doit produire seulement en ukrainien, se trouvera très défavorisée en termes de soutien financier, et d’accès à des marchés de distribution, par rapport au cinéma russe. Or, on sait bien que le cinéma est un outil formidable pour promouvoir l’image d’un pays à l’étranger.

Pour le poète Serhiy Zhadan, les parlementaires essaient en fait plus de lutter contre le russe que de promouvoir l’ukrainien. Pour lui, cette démarche n’est pas constructive, et c’est une nouvelle diversion des responsables politiques pour cacher leur impuissance à régler la crise économique et sociale. La situation est très difficile pour les Ukrainiens, et ça, quelle que soit la langue qu’ils parlent.

Ecouter la séquence ici

Le Monde Diplomatique: Ukraine topples Lenin’s statues

Article co-written with Laurent Geslin, published in the December issue of Le Monde Diplomatique English

Click her for the original French version

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The Kiev city council announced in July that Moscow Avenue was to be renamed ‘Stepan Bandera Avenue’ after the nationalist ‘hero’ of the struggle against the Soviet Union. Bandera was briefly a prisoner of the Nazis, though also their ally in June 1941 and in 1944. The renaming, under ‘decommunisation’ laws adopted in Ukraine in 2015, aims to distance the Soviet heritage and the shadow of Russia.

In Poland, it brings back unpleasant memories. This July the Polish parliament voted overwhelmingly to adopt a law referring to massacres in Volhynia in 1943 as ‘ethnic cleansing’ and ‘genocide’. In that region, now part of Western Ukraine, 40-100,000 Poles were killed during the second world war, ‘brutally murdered by Ukrainian nationalists’ according to the Polish parliament. The Ukrainian Insurgent Army (UPA), founded by Stepan Bandera, did the killing. Today the UPA is celebrated in Ukraine for its fight for national independence. It also massacred Jews and Poles, and for a time collaborated with Nazi Germany.

Despite the convergence of Polish and Ukrainian strategic interests with those of Russia, these votes signal ‘the end of the Polish-Ukrainian honeymoon’ according to Vasyl Rasevych, a historian at the Ukrainian Catholic University in Lviv, western Ukraine. Disputes between the countries are not new, but recent legislative initiatives confirm the failure to establish a shared vision of the past. Volodymyr Vyatrovich of the Ukrainian Institute of National Memory (UINM) says: ‘History should be left to historians, and politicians should be prevented from imposing their own interpretations on it.’ Rasevych says developing an official version of history is just what UINM is trying to do.

Vyatrovich is a leading promoter of the four anticommunist laws adopted by the Ukrainian parliament in May 2015. They criminalise the promotion of ‘communist and Nazi totalitarian ideologies’; order the dismantling of statues and changing of place names linked to the Soviet (…)

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RFI: La présidentielle pose les mauvaises questions

Reportage diffusé dans les journaux de la matinale, sur RFI, le 13/11/2016

Second tour de l’élection présidentielle en Moldavie. Le pays se choisit aujourd’hui un chef de l’Etat pour la première fois depuis 20 ans au suffrage universel. Le favori Igor Dodon prône un rapprochement avec la Russie, tandis que Maia Sandu entend poursuivre l’intégration européenne du pays. Mais dans ces grands discours, les problèmes structurels de ce pays le plus pauvre d’Europe ne sont pas pris en compte. 

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Gulliver tied in front of the Moldovan Cabinet of Ministers, as a part of an art exhibition « Chisinau is Magic »

“La Moldavie est au coeur du Grand Jeu entre les Russes, les Européens et les Américains”. A en croire les deux candidats à l’élection présidentielle de ce dimanche, c’est indéniable, et les électeurs doivent choisir avec qui conclure un partenariat stratégique. Dans la population, la lassitude est palpable. Mihail Shalvir est un militant civique à Chisinau.

Mihail Shalvir: Pendant les 25 dernières années de notre indépendance, les dirigeants politiques n’ont fait que diviser la société. Ils ont inventé des problèmes pour créer des illusions et nous distraire de nos vrais problèmes. 

Et des problèmes, il y en a, des routes aux canalisations, du système judiciaire au système de santé, sans oublier le fléau d’une corruption systémique. Mihail Shalvir est un de ceux qui n’attendent rien de cette élection. Pour lui, la priorité est ailleurs.

Mihail Shalvir: En premier lieu, ce n’est pas l’élite politique qu’il faut changer. C’est la société civile. Il faut renforcer la société civile, et permettre aux gens de faire valoir leurs demandes et de contrôler la sphère politique. 

Des projets émergent ici et là. Mais le développement d’une conscience civique est lent, encore plus dans les zones rurales que dans la capitale Chisinau. Les Moldaves qui se posent des questions concrètes sur des problèmes de base ont toujours du mal à se faire entendre.

 

LLB: En Ukraine, l’indécrottable corruption

Article publié dans La Libre Belgique, le 18/08/2016

A Kiev, le procureur anticorruption Dmytro Sus se rend au travail tous les jours dans une Audi Q7 rutilante. Une voiture de luxe, estimée au minimum à 30 000 euros sur le marché ukrainien. Alors évidemment, quand le procureur déclare sur Facebook, dans un échange avec un internaute, gagner 300 000 hryvnias par an (environ 10 600 euros), cela pose question. En fait, « tout s’explique », ironise la journaliste Alissa Iourchenko. « La voiture appartient à Maria Iourchik, une habitante de Khmelnitsky (à quelque 400 kilomètres de Kiev), de la famille de Dmytro Sus. Née en 1930, elle a aujourd’hui 85 ans… »

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Source: Facebook de Moustafa Naiiem

Ces cas de fonctionnaires, magistrats et politiciens ukrainiens vivant clairement au-dessus de leurs moyens, Alissa Iourchenko et l’équipe de journalistes de « Nashi Groshi » (Notre argent) en font leurs choux gras. Même s’il est impossible de tous les recenser. En Ukraine, l’un des pays les plus pauvres d’Europe en termes de revenus par habitant, les ballets de voitures de luxe garées devant la Verkhovna Rada (Parlement), les ministères, les tribunaux et autres bâtiments officiels sont une scène de la vie quotidienne.

L’anecdote est encore célèbre de l’ancien ministre polonais des Affaires étrangères, Radoslaw Sikorski, se faisant railler par ses homologues ukrainiens en 2013. Il arborait alors au poignet une montre « Bulova », estimée à « seulement » 165 dollars… Une misère pour les officiels à Kiev, malgré leurs salaires officiellement inférieurs aux niveaux polonais. De quoi alimenter les rumeurs, accusations et enquêtes sur la corruption d’Etat en Ukraine.

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Le Jeudi: Femmes d’Ukraine, entre réseaux sociaux et réalité

Article publié dans Le Jeudi, le 28/07/2016

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Anastasia Melnychenko, initiatrice du mouvement. Capture d’écran Le Jeudi

Extrait:

—- Le phénomène s’est néanmoins estompé dès avant la fin juillet. Après un écho éphémère dans la sphère médiatique, #яНеБоюсьСказати a disparu des réseaux sociaux, désormais inondés de photos de plages et de vacances ensoleillées. Les agences matrimoniales, spécialisées dans les rencontres plus ou moins sincères entre jeunes filles locales et de riches prétendants étrangers, continuent de vanter la “beauté exceptionnelle” des Ukrainiennes et Russes, ainsi que leur respect de valeurs familiales et traditionnelles, telles que l’obéissance à leur futur mari.

“#яНеБоюсьСказати n’a rien changé de concret pour les femmes qui ont vraiment souffert de viols ou harcèlements sexuels”, dénonce l’éditorialiste Olena Konsevitch. “Pour 97% des histoires racontées sur les réseaux sociaux, il s’agissait d’ailleurs plus d’exhibitionnisme virtuel qu’autre chose…” Le problème serait néanmoins réel, dans des sociétés “imparfaites”, où “la violence est un automatisme de chaque instant des relations entre individus, bien au-delà des brutalités à l’encontre des femmes (…) On ne peut pas régler cela depuis un écran d’ordinateur”. —

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RTS: Les Villages Skype d’Ukraine

Reportage diffusé dans l’émission « Tout un Monde », sur la RTS, le 12/05/2016

Un projet réalisé avec le soutien de journalismfund.eu

Face aux difficultés économiques, ce sont des générations entières d’Ukrainiens qui sont allés tenter leur chance ailleurs depuis l’indépendance en 1991, principalement en Russie et en Europe de l’ouest. En laissant familles et maisons derrière, et en espérant revenir après s’être enrichis. Dans l’ouest de l’Ukraine en particulier, des villages entiers se sont ainsi mis à vivre au rythme des migrations, des transferts d’argent des migrants, et des nouvelles technologies.

 

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Imaginez une petite ville de campagne reculée en Ukraine de l’ouest. Avec ses routes cabossées, ses façades décrépies, ses conduites de gaz rouillées héritées de l’époque soviétique. Et son Internet haut débit, qui a donné un nouveau souffle à la ville.

Krystyna Datsiouk: Le centre Skype, comme on l’appelle, a permis à nos villageois de renouer les liens avec ceux qui sont au loin. C’est très important.

Krystyna Datsiouk est la directrice de la bibliothèque municipale pour enfants de Sokal, tout près de la frontière polonaise. Elle supervise le centre informatique de la ville, ouvert il y a quelques années.

Krystyna Datsiouk: Moi, par exemple, mes deux frères sont à l’étranger. Mes collègues ont toutes des parents à l’étranger. Vous ne trouverez pas une famille ici qui n’ait pas un de ses proches à l’étranger. 

L’ouest de l’Ukraine, c’est un des épicentres de l’émigration de centaines de milliers d’Ukrainiens au fil des 25 dernières années. Confrontés à de sérieuses difficultés économiques, ils sont partis tenter leur chance ailleurs.

Marianna Nitch: Dans les années 1990, la migration a été très dure pour toutes les familles. Les parents décidaient de partir précipitamment, à cause de l’urgence économique. Les enfants étaient soumis à des changements dramatiques, qu’ils ne comprenaient pas. 

Marianna Nitch est une psychologue de l’association Zaporuka, à Lviv, spécialisée dans l’assistance de familles de travailleurs à l’étranger.

La plupart des Ukrainiens qui tentent leur chance ailleurs ne se qualifient pas d’émigrants. Ce sont des “Zarobytchanny”, littéralement des “travailleurs pour de l’argent”. Leur désir de rentrer au pays implique qu’ils ont encore une partie de leur famille, souvent des enfants, en Ukraine.

Marianna Nitch: Avant, les familles ne pouvaient communiquer que par téléphone, une fois par semaine, voire une fois par mois. Maintenant, il y a beaucoup plus de possibilités, non seulement de communiquer, mais aussi de voyager. Et on voit que les familles s’adaptent. Une fois que les enfants comprennent qu’ils doivent vivre sans leurs parents, ils deviennent plus responsables, plus autonomes.

Aujourd’hui, le centre informatique de Sokal est moins utilisé, car de plus en plus de foyers ont Internet à domicile. Mais la bibliothèque reste très fréquentée, notamment depuis que le wifi est en libre accès. Une fierté technologique pour les bibliothécaires. Par contre, pour aller aux toilettes, il faut traverser la rue, car les conduites d’eau ne sont jamais arrivées jusqu’au bâtiment.

Les bibliothécaires préfèrent en rire. Mais c’est encore là un signe du développement asymétrique de la ville de Sokal. L’argent des migrants bénéficie aux familles, mais peu à la collectivité. Krystyna Datsiouk constate aussi d’autres sortes de décalage chez les enfants.

Krystyna Datsiouk: Certains enfants ne voient que les avantages matériels: ils ont des téléphones, des ordinateurs, des vêtements de marque… Ils peuvent aller jusqu’à considérer leur mère comme un simple porte-monnaie. Donc avec ces enfants qui sont bien mieux lotis d’un point de vue matériel, il faut être encore plus attentifs qu’avec les autres.

Le salaire moyen en Ukraine aujourd’hui, c’est environ 200 euros par mois. Rien à voir avec le niveau des salaires en Europe de l’ouest, ou même en Russie.

Comme des milliers d’autres, Olena Rykhniouk, 42 ans, s’est donc résignée. Depuis deux ans, elle est seule à élever ses deux enfants, en attendant le retour de son mari, employé à Moscou.

Olena Rykhniouk: La distance, ça a été dur au début, pour le moral. Mais maintenant, ça va. Nous avons un but commun: nous construisons une grande maison, ici à Sokal. Il nous faut de l’argent pour la finir. Donc nous avons décidé de vivre comme cela. J’espère juste que cette situation ne va pas s’éterniser… 

Selon une étude de l’Organisation Internationale des Migrations, l’OIM, 60% des migrants ukrainiens travaillant à l’étranger souhaitent revenir s’installer en Ukraine. Mais les retours ne sont ni encouragés, ni encadrés par l’Etat. Anastasia Vynnychenko est une experte à l’OIM.

Anastasia Vynnychenko: L’Etat a pris de nombreuses initiatives pour gérer les flux migratoires. Mais nous constatons de sérieuses incohérences et un manque de coordination de ces initiatives. Et en ce qui concerne une politique de valorisation de l’émigration en faveur du développement économique de l’Ukraine, nous en sommes au point mort. 

En 2014, l’étude de l’OIM estimait que les transferts d’argent des migrants à l’Ukraine représentait plus de 2,5 milliards d’euros, soit plus de 3% du PIB national. 21% des migrants se déclaraient près à investir leur épargne dans l’économie du pays.

Mais depuis 1991 et l’indépendance de l’Ukraine, les gouvernements successifs ne semblent pas pressés d’apporter une réponse à cette question.

En plus de la guerre à l’est, l’Ukraine traverse une grave crise économique et financière, et la corruption reste endémique. Au lieu d’investir dans des activités productives, les migrants économiques d’aujourd’hui continuent donc de se replier sur la sphère familiale. Ils investissent dans des maisons, des voitures, des biens de consommation, et l’éducation de leurs enfants.

Nastya: Bonjour, Je m’appelle Nastya. 

Dans la petite ville de Sokal, Nastya a 13 ans, elle apprend le français. Son père vit dans la région parisienne depuis de nombreuses années. La maîtresse de maison, Iryna Lyalka, s’en est difficilement fait une raison.

Iryna Lyalka: Bien sûr, nous vivons bien d’un point de vue matériel. Mais pour la famille, c’est très difficile. Mon mari ne voit pas les enfants grandir. Au moins, maintenant, il y a Skype. Voilà, on peut dire que maintenant, nous vivons notre vie sur Skype. 

Dans cette Ukraine rurale et reculée, la famille a toujours représenté une valeur sûre, même sur un écran d’ordinateur. Et ces “villages Skype”, que l’on croyait il y a peu condamnés à cause des migrations de masse, continuent à vivre, grâce à l’Internet haut débit.

Sébastien Gobert à Sokal pour la RTS

Ecouter le reportage ici

Into the void: some thoughts on the Ukrainian healthcare system

This is a personal account of some experiences with Ukrainian healthcare system

“You are really French? Oh, my. I cannot believe I have a Frenchman for Christmas Eve. For me and me only. Take off your coat. Such a nice present. Are you a real one, a real Frenchman I mean? Where do you come from? Please lay down on this table. How is it, there, in France? I dream about it since I am a little girl. Open the mouth”. The nurse is ecstatic as she prepares me for the X-Ray. In her fifties, she sounds joyful and romantic – she probably is. Her machine seems antiquated and rusty – it definitely is. I look sick and tired – I really am. Yet it mostly feels like I am bewildered and passably annoyed.

Earlier that day, I had come to this hospital to check with a specialist on a kind of sinusitis-bronchitis I had not managed to cure back in France. It all developed in a nasty way on the flight back because of the cabin pressure in high altitude. My friend insisted on me going to check by her friend specialist in a Ukrainian public hospital. That kept me from calling to a private clinic to ask for them to come over and give me a home consultation. Fair enough. Anyway, as this was obviously a sinusitis with early signs of a bronchitis, I was just expecting to go and see the doctor, get checked, receive a diagnosis, buy a few medications at a nearby pharmacy and run back home to cure myself.

I should have known better: Ukrainians see it differently. After the initial check-ups, I was directed to two different heads of departments. One woman was about to go on a lunch break when she saw me coming in. Hence she hurriedly butchered my finger in order to get some blood samples. Another nurse proved more tender. She resolved to give the Frenchman the X-Ray of his life. For a sinusitis. Nothing was done about my bronchitis as we were not in the proper hospital department.

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It was not the first time I witnessed the Ukrainian healthcare system turned into such a festival of tests and check-ups. I do consider myself a very obedient patient and I have been taken care of in quite different countries. I try not to criticise the Ukrainian system from a French point of view, as a lesson-giver and « I know better » person would do. People survive here as they do in France. Who am I to judge a healthcare system that seems to suit the majority of the population…? Yet on this specific occasion, being sick and dizzy, I couldn’t help myself thinking that, where I come from, a sinusitis is usually diagnosed after a 10-minute consultation. Every other Westerner I would later tell the story would be very surprised with such impressive measures. But ok. Better being checked and not say anything. Anyway, all it had to come down to was a set of pills and pain-killers. I would be home soon. That’s what I thought.

In Lviv, this time, doctors hardly prescribed any pills. Instead, they ordered daily injection of antibiotics by way of dripping and a whole set of shots. Which basically forced me to come back to the hospital every day for five days, lay down for over an hour and spend the rest of the day weakened and dizzy, that is to say physically unable to perform any job or social activity. It was extremely annoying and demeaning. But ok. If that’s what it takes to get better, let’s do it. Plus, the staff was extremely polite and patient and competent. As I had to come in during the Christmas period, the hospital was generally empty and some nurses took time to act charming and cute. And professional. So if that’s what it takes…

5 days passed. I showed up to the doctor for a check-up after a long Ukrainian Christmas weekend, she went on to check one of my ears – only one – and ordered three days more of drips and shots.  With no further explanation, a nurse took me to a “palat” (common hospital room, in Ukrainian) and I was shot, again. No one ever checked my lungs. I grew seriously depressed because of the very perspective of further inaction. My friend undertook to discuss my case with her friend doctor. She came back a few minutes later all smily and shiny. « We toasted to Christmas with 50 grams (millilitres) of cognac. We haven’t seen each other for a long time, you know. What about you? Just stand still, there is nothing to do but to wait ».

And then it all came back to me. All these anecdotes I had heard of over the past few years I spent in Ukraine. All this data I collected in the course of my interviews and researches. “I have a lot of friends who simply ‘disappear’ and stay in their local hospitals for a week or so, just because the doctor ordered it”, one foreign friend told me once. “Ukrainian patients don’t really ask why. It’s just like that”. His Ukrainian girlfriend actually refuses to go to hospitals unless she really has to. “If I check in to the hospital, I will come out in after looooonnnng time, and maybe even in a worse condition…”

The story echoes with what Health minister Kvitashvili told me once during an interview. Namely that Ukraine’s healthcare system has oversized nominal capacities, which are inherited from the Soviet tradition of “let’s have as much as we can in terms of quantity even if it does not translate into quality”. “Ukraine has 9 beds per 1000 population. Sweden has a much more developed welfare state is a much more socially oriented state, has 2,7 beds per 1000 inhabitants. The average length of stay is 13 days in hospitals in Ukraine, 5 in Sweden”, the minister told me. I myself was almost taken in because of the sinusitis. I assume now that no one wanted to bother with a Frenchman in the midst of the Christmas break.

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It may be fun to think of it in the way that I am just a spoiled foreigner who criticises everything that he does not fully understands. Yet my forced inaction for most of the first two weeks of the year got me thinking. I would be fine. But what about other cases, other diseases, other treatments? The Ukrainian tendency to over-hospitalise may have dramatic consequences in the sense that it totally disrupts lives. A friend at the WHO was very eloquent on this one. “The patient has to adapt to the system, not the other way around. It is extremely rigid and not adequate. In most of the countries in the world, the system aims at keeping you active and socially responsible. In Ukraine, the patient is supposed to stop everything he does to comply with the treatment doctors ordered ».

My WHO friend continues: « I remember the case of this businessman, very active and employer to some 30 people. He was diagnosed with a benign form of tuberculosis. Doctors ordered him to stay in the hospital for three months. After a few weeks in, he decides to leave and go back to work. His situation worsens. Then he comes back. Doctors first refuse to treat him because they accuse him of non-compliance with the treatment. His situation worsens. Eventually they admit him and keep him in. He develops an intra-mural infection. Now he has a multi-resistant form of tuberculosis, his business is down and his employees are jobless. It’s absurd to follow such a rigid approach. It is all the more so frustrating that the technology does exist to produce a proper diagnosis and to treat the patient in a way that he would not be contagious or weak after a few weeks! If this businessman was correctly diagnosed, he would have received a proper treatment while being still active”.

But then it turns out that the system is both extra-rigid and very much not understandable. In normal time one would get barked at for not leaving one’s coat in the « garderobe » (coat room) or for not wearing « bacils » (medical blue plastic shoes) in specified areas. When I came in over the Christmas weekend, I was waived away and blessed to do pretty much anything I wanted. Coats on me, dirty shoes on the floor, melted snow in the « palats ». Hygiene? We will deal with it after Christmas.

I remember one of my former flatmates in Kyiv suffering from an infection in a sensitive spot: she had to stay in quarantaine in one of the hospitals in downtown Kyiv for a few days – that means one of the best hospitals in the city. That meant laying down on a Soviet-looking bed with overused sheets. That meant having hot water just a few minutes per day. That meant buying her own toilet paper and soap. I am still not sure it was the best environment to cure such a sensitive infection.

Long story short: I am not sure my treatment was all necessary. I believe it could have been more precise and more efficient, without it keeping me from active life for so long. But again, what do I know…? I have no medical qualification, I cannot understand the doctor’s logics. Am I being over-critical in writing these lines? Impatient? Ungrateful? Childish? Dunno. I would go over all these thoughts everyday – I had nothing better to do. During one of the dripping sessions, a nurse approaches me. It’s time for my shut in the butt. This nurse is new, I have not seen her before. It turns out that she also really enjoys me being French. « Say something in French », she kindly asks as I take my pants down. « Merci Mademoiselle, d’être aussi gentil avec moi », I answer. « Oh, it sounds so nice. But I did not understand anything but ‘Mademoiselle’. Anyway. Stand still ». Shot. « Please put it back on. Take your time and you can go home whenever you want. Ah, it’s so good. For just a couple minutes, I was a ‘Mademoiselle’ again. It’s been a long time. Look, what can I tell you? I know ». « O Revouare, Mossieur! » I am so dizzy from the shot I don’t even realise she is gone.

RTS: Petro Porochenko reste extrêmement ferme face à la Russie

Entretien diffusé dans l’émission « Forum », sur la RTS, le 02/08/2015

Le président ukrainien dénonce l’agression contre son pays et défendra l’intégrité du territoire ukrainien, son territoire, jusqu’au bout. Lors d’une interview donnée samedi 02 août, notre correspondant lui a demandé au chef de l’Etat quel avenir il espérait offrir aux Ukrainiens, alors que la richesse nationale du pays est moins élevée aujourd’hui qu’en 1990 lors de l’éclatement de l’URSS.
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PP: Dans un contexte de guerre et d’augmentation des dépenses de défense, il n’existe pas d’autres cas où un gouvernement ou un président a mener des réformes avec succès. Mais nous, pendant la guerre, nous avons réduit les déficits budgétaires, nous mettons en oeuvre la décentralisation du pays, nous établissons l’Etat de droit, nous conduisons une réforme très difficile du système judiciaire, nous luttons contre la bureaucratie et l’oligarchie. Ces réformes sont très douloureuses.

SG: Les hostilités qui se poursuivent dans le Donbass, à l’est de l’Ukraine, sont un véritable obstacle au développement économique et aux réformes. Pourquoi ne pas tout simplement le céder à ceux qui le veulent?

PP: C’est un territoire ukrainien! Auparavant, il y avait 4 millions d’Ukrainiens qui y habitaient. Ils subissent la pression de des troupes russes qui occupent mon pays. C’est une véritable agression contre mon pays. C’est une violation brutale du droit international et il est impossible d’abandonner la moindre parcelle de mon territoire.

SG: Vous répétez souvent que les Ukrainiens se battent pour la sécurité de tout le continent européen. Qu’attendez-vous de vos partenaires occidentaux dans ce combat?

PP: Premièrement, nous avons besoin de la solidarité européenne avec l’Ukraine. Nous l’avons déjà. Second: nous avons besoin d’une unité transatlantique. C’est une violation brutale du droit international, un danger global pour la sécurité mondiale. Troisièmement: nous avons besoin de soutien financier pour les réformes. Le problème principal des Ukrainiens est qu’ils abhorrent l’idée de vivre dans cet espèce d’empire soviétique, ils se considèrent eux-mêmes comme une nation européenne. Et ils veulent à tout prix mener ces réformes à bien. Quatrièmement: il faut un mécanisme pour motiver l’agresseur à remplir ses obligations. ce sont les sanctions! Ce n’est pas fait pour punir qui que ce soit. Mais c’est ici pour motiver l’agresseur à remplir ses obligations, à retirer ses troupes et ainsi de suite. Et cinquièmement: une coordination effective et efficace pour la mission de maintien de la paix.

SG: A votre avis, la mission d’observation de l’OSCE est-elle suffisante pour garantir l’application des accords de paix de Minsk ?

PP: Sur les questions de désescalade de la situation, un cessez-le-feu immédiat, le retrait des troupes, ni la Russie, ni les terroristes qu’elle soutient, ne mettent rien en oeuvre. A cause de tout cela, nous devons avoir une force de maintien de la paix. Parce que la mission de monitoring de l’OSCE est d’une importance vitale pour nous. Mais ce n’est pas suffisant.

Ecouter l’entretien ici (accès libre, remonter à l’émission du 02/08/2015)

La Tribune de Genève: Niels Ackermann: «Il y a une réelle demande pour des histoires positives»

Article publié dans La Tribune de Genève, le 31/05/2015

Le Genevois Niels Ackermann veut montrer une autre image de l’Ukraine que la guerre ou Tchernobyl.

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«Il s’agit de montrer l’Ukraine sous un nouveau jour. C’est un pays aux multiples opportunités, où il se passe de belles choses.» Et pour ce faire, quoi de plus parlant pour le photographe genevois Niels Ackermann que la ville de Slavoutitch, au nord du pays.

Née de la catastrophe de Tchernobyl, en 1986, afin de loger des milliers de travailleurs mobilisés pour la protection du site ravagé, Slavoutitch est la ville la plus jeune d’Ukraine.

10’000 francs en dix jours

A 28 ans, Niels Ackermann voit son rêve devenir réalité. A travers une campagne de crowdfunding sur la plate-forme We Make It, il a rencontré pour son projet de livre sur la jeunesse de Slavoutitch un soutien inattendu. Alors qu’il s’était fixé comme objectif de récolter 6’000 francs en quarante-cinq jours, il a dépassé les 10’000 francs en une dizaine de jours. Un record, à ne pas en douter.

«Pour les médias comme pour le public, la vision de l’Ukraine est assez formatée, commente-t-il. Le pays est compris à travers des sujets sur la guerre, la révolution ou la corruption. Mais ce dont je me rends compte, c’est qu’il y a aussi une réelle demande pour des histoires positives, qui donnent de l’espoir.»

L’Ukraine, Niels Ackermann l’a découverte en 2009, lors d’un voyage vers l’est. Le Donbass, déjà en déliquescence économique, était alors en paix. «J’y ai découvert des gens incroyablement accueillants, et je me suis intéressé à ce pays si particulier, si attachant.»

Ioulia, l’héroïne

Le photographe entretient cet intérêt grâce à des voyages réguliers. En 2012, c’est le coup de foudre à Slavoutitch. Avec ses habitants, leur dynamisme, leur joie de vivre, leurs soirées riantes et alcoolisées. Avec la jeune Ioulia aussi, ses rêves et ses espoirs. De quoi multiplier les visites au cours des trois dernières années, et d’en tirer plus de 22’000 photos.

«Pendant très longtemps, je n’en ai parlé à personne. La ville était inconnue du grand public, je voulais protéger «ma» découverte. Je me suis lié d’amitié avec beaucoup de personnes à Slavoutitch, qui m’ont accueilli chez elles, m’ont offert un accès au cœur de leur intimité.»

Ioulia s’impose vite comme l’héroïne de son travail photographique. La jeune femme lui donne carte blanche, à une exception près: ne pas la photographier en train de fumer une cigarette. «J’ai vécu des moments magiques», confesse Niels Ackermann.

«Mais plus j’y allais, plus je faisais de photos, et moins j’arrivais à croire que cela pouvait intéresser qui que ce soit. Pour caricaturer; il n’y avait pas de sang, pas de viols, pas de détresse humaine: je ne voyais pas qui pouvait les publier… J’ai continué de toutes les manières, pour mon propre plaisir.»

En 2013, le Genevois remporte le prix Globe-Trotter World Photo. C’est à ce moment-là qu’il se convainc d’un intérêt médiatique pour l’Ukraine, et de la pertinence de publier son travail sur Slavoutitch. «L’idée d’un livre est venue assez rapidement, afin de pouvoir publier le plus de photos possibles et développer un produit de qualité.»

Un soutien important

Avec toujours cette question: qui va soutenir un tel projet? «Le succès de la campagne de crowdfunding, ce n’est pas qu’une question d’argent. Elle a suscité un intérêt tel que je ne connais pas la moitié des personnes qui m’ont soutenu. Des professionnels du monde du livre, des graphistes et d’autres encore se proposent de m’aider dans l’édition de l’ouvrage. Je suis impressionné que tant de personnes souhaitent s’engager dans l’aventure.»

Parmi ces soutiens, Ioulia, plus enthousiaste que jamais. «Elle ne retire rien de matériel de ce projet, précise Niels Ackermann. Elle m’explique qu’il est devenu une part d’elle-même. Elle a beaucoup ri, et aussi pleuré, quand elle a découvert la sélection des photos de ces trois dernières années. La jeune femme de 2012 a beaucoup changé. Elle s’est mariée, elle est devenue adulte.»

Réparer les erreurs de leurs parents

C’est son histoire et celles de ses amis que ce livre veut raconter, à l’occasion des 30 ans de l’explosion du réacteur No 4 de Tchernobyl. «On ne peut plus montrer les photos de la catastrophe ou de Pripiat abandonné. Le monde entier les a vus, et il a compris. Il faut passer à autre chose parce que la vie a repris ses droits dans la zone et à Slavoutitch. Ces jeunes sont en train de réparer les erreurs de leurs parents et de construire un avenir meilleur pour leur pays. C’est cela que je veux montrer.»

Ce n’est pas la seule chose que Niels Ackermann entend montrer. Amoureux de l’Ukraine, installé à Kiev depuis peu, porté par le succès de ce projet, le photographe déborde d’idées.

«Depuis la Révolution de la dignité, malgré la guerre, l’Ukraine est une pépinière de talents, de jeunes bourrés d’énergie et d’ambition. J’ai envie de travailler avec ces gens, et d’accompagner leurs efforts pour créer une nouvelle Ukraine.»

Le Genevois ne se fait évidemment pas d’illusions: «Les défis sont nombreux. En premier lieu, le plus gros problème pour un Suisse est le manque de ponctualité des Ukrainiens. La corruption ou l’immobilisme bureaucratique sont autant de problèmes à gérer. Mais aussi étrange que cela puisse paraître, ces difficultés que le pays vit, cela renforce mon envie d’y habiter, et d’y travailler.»