La Tribune de Genève: Niels Ackermann: «Il y a une réelle demande pour des histoires positives»

Article publié dans La Tribune de Genève, le 31/05/2015

Le Genevois Niels Ackermann veut montrer une autre image de l’Ukraine que la guerre ou Tchernobyl.

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«Il s’agit de montrer l’Ukraine sous un nouveau jour. C’est un pays aux multiples opportunités, où il se passe de belles choses.» Et pour ce faire, quoi de plus parlant pour le photographe genevois Niels Ackermann que la ville de Slavoutitch, au nord du pays.

Née de la catastrophe de Tchernobyl, en 1986, afin de loger des milliers de travailleurs mobilisés pour la protection du site ravagé, Slavoutitch est la ville la plus jeune d’Ukraine.

10’000 francs en dix jours

A 28 ans, Niels Ackermann voit son rêve devenir réalité. A travers une campagne de crowdfunding sur la plate-forme We Make It, il a rencontré pour son projet de livre sur la jeunesse de Slavoutitch un soutien inattendu. Alors qu’il s’était fixé comme objectif de récolter 6’000 francs en quarante-cinq jours, il a dépassé les 10’000 francs en une dizaine de jours. Un record, à ne pas en douter.

«Pour les médias comme pour le public, la vision de l’Ukraine est assez formatée, commente-t-il. Le pays est compris à travers des sujets sur la guerre, la révolution ou la corruption. Mais ce dont je me rends compte, c’est qu’il y a aussi une réelle demande pour des histoires positives, qui donnent de l’espoir.»

L’Ukraine, Niels Ackermann l’a découverte en 2009, lors d’un voyage vers l’est. Le Donbass, déjà en déliquescence économique, était alors en paix. «J’y ai découvert des gens incroyablement accueillants, et je me suis intéressé à ce pays si particulier, si attachant.»

Ioulia, l’héroïne

Le photographe entretient cet intérêt grâce à des voyages réguliers. En 2012, c’est le coup de foudre à Slavoutitch. Avec ses habitants, leur dynamisme, leur joie de vivre, leurs soirées riantes et alcoolisées. Avec la jeune Ioulia aussi, ses rêves et ses espoirs. De quoi multiplier les visites au cours des trois dernières années, et d’en tirer plus de 22’000 photos.

«Pendant très longtemps, je n’en ai parlé à personne. La ville était inconnue du grand public, je voulais protéger «ma» découverte. Je me suis lié d’amitié avec beaucoup de personnes à Slavoutitch, qui m’ont accueilli chez elles, m’ont offert un accès au cœur de leur intimité.»

Ioulia s’impose vite comme l’héroïne de son travail photographique. La jeune femme lui donne carte blanche, à une exception près: ne pas la photographier en train de fumer une cigarette. «J’ai vécu des moments magiques», confesse Niels Ackermann.

«Mais plus j’y allais, plus je faisais de photos, et moins j’arrivais à croire que cela pouvait intéresser qui que ce soit. Pour caricaturer; il n’y avait pas de sang, pas de viols, pas de détresse humaine: je ne voyais pas qui pouvait les publier… J’ai continué de toutes les manières, pour mon propre plaisir.»

En 2013, le Genevois remporte le prix Globe-Trotter World Photo. C’est à ce moment-là qu’il se convainc d’un intérêt médiatique pour l’Ukraine, et de la pertinence de publier son travail sur Slavoutitch. «L’idée d’un livre est venue assez rapidement, afin de pouvoir publier le plus de photos possibles et développer un produit de qualité.»

Un soutien important

Avec toujours cette question: qui va soutenir un tel projet? «Le succès de la campagne de crowdfunding, ce n’est pas qu’une question d’argent. Elle a suscité un intérêt tel que je ne connais pas la moitié des personnes qui m’ont soutenu. Des professionnels du monde du livre, des graphistes et d’autres encore se proposent de m’aider dans l’édition de l’ouvrage. Je suis impressionné que tant de personnes souhaitent s’engager dans l’aventure.»

Parmi ces soutiens, Ioulia, plus enthousiaste que jamais. «Elle ne retire rien de matériel de ce projet, précise Niels Ackermann. Elle m’explique qu’il est devenu une part d’elle-même. Elle a beaucoup ri, et aussi pleuré, quand elle a découvert la sélection des photos de ces trois dernières années. La jeune femme de 2012 a beaucoup changé. Elle s’est mariée, elle est devenue adulte.»

Réparer les erreurs de leurs parents

C’est son histoire et celles de ses amis que ce livre veut raconter, à l’occasion des 30 ans de l’explosion du réacteur No 4 de Tchernobyl. «On ne peut plus montrer les photos de la catastrophe ou de Pripiat abandonné. Le monde entier les a vus, et il a compris. Il faut passer à autre chose parce que la vie a repris ses droits dans la zone et à Slavoutitch. Ces jeunes sont en train de réparer les erreurs de leurs parents et de construire un avenir meilleur pour leur pays. C’est cela que je veux montrer.»

Ce n’est pas la seule chose que Niels Ackermann entend montrer. Amoureux de l’Ukraine, installé à Kiev depuis peu, porté par le succès de ce projet, le photographe déborde d’idées.

«Depuis la Révolution de la dignité, malgré la guerre, l’Ukraine est une pépinière de talents, de jeunes bourrés d’énergie et d’ambition. J’ai envie de travailler avec ces gens, et d’accompagner leurs efforts pour créer une nouvelle Ukraine.»

Le Genevois ne se fait évidemment pas d’illusions: «Les défis sont nombreux. En premier lieu, le plus gros problème pour un Suisse est le manque de ponctualité des Ukrainiens. La corruption ou l’immobilisme bureaucratique sont autant de problèmes à gérer. Mais aussi étrange que cela puisse paraître, ces difficultés que le pays vit, cela renforce mon envie d’y habiter, et d’y travailler.»

Publié par

Sébastien Gobert

Journaliste et voyageur, je suis un Européen d'origine française et observateur insatiable de la composition, décomposition et recomposition du continent. Depuis 2011 en Ukraine, je suis en permanence sur les routes, afin de suivre les évolutions et révolutions qui secouent ce pays. L'occasion d'affiner mon regard sur les différences - et ressemblances - qui font cette autre Europe.

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